Librairie. Antoine Leiris : La vie, après

Vous n’aurez pas ma haine

J’ai mis longtemps avant de me sentir prête à lire Vous n’aurez pas ma haine d’Antoine Leiris. A chaque fois que je le voyais ou que je l’entendais en interview, j’étais frappée par son calme apparent, son recul sur les choses. Dès le début il a fait preuve d’une dignité et d’une analyse remarquables.

Pour rappel : Hélène, la femme d’Antoine Leiris, est morte au Bataclan lors des attentats du 13 novembre 2015. Antoine était chez eux, il gardait leur fils Melvil alors âgé de 17 mois. Il lisait un mauvais roman policier pour tenter de rester éveillé en l’attendant, lorsque les messages et coups de fil sont devenus insistants. Il a alors allumé « la boîte à horreurs » et découvert ce qui se passait au même moment au Bataclan.

Quelques jours après, alors qu’il est allé voir Hélène une dernière fois à la morgue, Antoine Leiris écrit et publie un texte de deux pages sur Facebook : « Vous n’aurez pas ma haine. » Ce texte est partagé par des millions de personnes. Pourquoi ? Je vous le livre ici et vous pourrez vous en souvenir et en comprendre la raison.

La vie, après

Aujourd’hui j’ai envie de vous présenter son deuxième livre : La vie, après qui est sorti en octobre 2019 chez Robert Laffont. 

Dans l’avant-propos, Antoine Leiris explique qu’il a tenté d’écrire de la fiction, mais que son histoire, leur histoire, était la seule qu’il parvenait à écrire. En quatre ans tous deux ont mûri, grandi, mué. Et ce livre en est le témoignage.

Incipit

Juillet 2016

C’est l’année d’après, au mois de juillet. Je le dépose chez sa grand-mère pour ne pas l’avoir dans les pattes. Je l’embrasse comme on mange les marshmallows – sans pouvoir s’arrêter, on en a plein la bouche et ça colle dans le ventre.

Je le quitte, mais je voudrai le garder près de moi. Ce baiser me reste sur l’estomac.

Première ligne, j’ai écrit : « L’année d’après. » En relisant, je prends conscience que mon langage a changé. Désormais je dis « avant » ou « après » comme on dit avant ou après la chute du mur de Berlin, avant ou après la Seconde Guerre mondiale, avant ou après l’invention de l’imprimerie, avant ou après Jésus-Christ. C’est le point de bascule de notre histoire.

Je n’ai jamais formulé « la mort d’Hélène ». Je ne le dis pas, l’écrire même sonne faux. Je me contente de situer vaguement les époques dans le temps, de préciser « avant » ou « après ».

Je comprends combien c’est brutal et réducteur. Ma façon d’éviter l’obstacle tout en reconnaissant que c’est impossible.

Quelle est sa mission cette nuit de juillet de l’année d’après ? Il s’agit pour lui d’enlever les affaires d’Hélène, de toucher au sanctuaire :

Les objets des morts deviennent immédiatement sacrés. Ils sont des reliques, la preuve qui étaient ne sont plus, qu’ils avaient une vie à eux. Qu’elle avait une vie à elle. (…)

Ils sont des traits d’union entre l’ici et l’ailleurs, où le vivant demeure peu.

Les souvenirs

Un jour, accompagné de Melvil, il descend tous les sacs qui contenaient les affaires d’Hélène. Et tous deux les jettent dans le camion-poubelle.

Le père et le fils déménagent dans un appartement moderne et aseptisé du 15e arrondissement. Il n’est plus possible de vivre dans leur lieu de souvenirs, sans elle. Antoine se jette à corps perdu dans le rôle du père parfait, qui fonctionne comme un métronome et organise ses journées avec rigueur.

Le théâtreLibrairie. Antoine Leiris : La vie, après

Puis Antoine se rend à la représentation théâtrale de son livre Vous n’aurez pas ma haine. Le moment est mémorable : il appréhende ce dédoublement, le fait de voir son histoire récitée par un autre (Raphaël Personnaz). Et au moment d’entrer dans la salle, il se voit refuser l’entrée par l’ouvreur car il n’a pas de billet :

« Je suis Antoine Leiris. » Il ne me répond pas. Il me regarde et finit par me lâcher, sur le même ton qu’une infirmière aurai demandé à une patiente de manger sa compote : « Il a une invitation ? » Je lui murmure qu’il faut demander à l’attachée de presse. « Vous êtes journaliste ? »

Lorsqu’Antoine entre enfin dans la salle, il trouve le comédien juste, mais ce n’est pas lui. Tout cela n’est plus son histoire, il a changé depuis, il la laisse au théâtre.

Son histoire

La lecture de ce livre nous permet de comprendre pourquoi Antoine Leiris fait preuve d’autant de recul sur les choses. Il a grandi avec une mère bipolaire, morte brûlée vive en 2005 car elle s’était endormie la cigarette allumée, après avoir mélangé alcool et médicaments. Puis son père est mort lui aussi, cet événement est simplement évoqué.

La vie et la mort s’entremêlent dans ce livre : Antoine Leiris évoque les morts, les naissances, les souvenirs d’enfance pas forcément légers et joyeux. On comprend mieux la gravité de son regard, le fond pesant de son timbre de voix. Hélène avait su lui apporter la légèreté et l’amour fou. On la lui a arrachée. Mais Melvil est là, et pour leur fils Melvil, Antoine vit. 

L’amour

Qu’en est-il d’une éventuelle histoire d’amour ? Il avait rencontré une femme :

Quelques mois séparent notre rencontre de notre décision de vivre ensemble. Tout va très vite. Elle est belle. Magnifiquement belle. Elle a cette intelligence qui nous dresse l’un contre l’autre, nous élève, nous enrichit, et nous laisse exténués.

Mais Il ne parvient pas à lui donner une place chez eux, dans sa vie et dans son esprit. Il gâche cette histoire, comme s’il ne s’accordait pas encore le droit au bonheur.

Je ne vous en dis pas davantage car je viens de relire le dialogue final, entre Melvil et son père. Et je préfère que vous le découvriez. Vos larmes couleront certainement comme les miennes actuellement. Mais ce livre est plein de vie : il raconte la vie avec les morts, la vie donc : la vie avant tout. 

Voir aussi:

Librairie : Olivia de Lamberterie, Avec toutes mes sympathies3 livres à lire cet étéJean-Louis Fournier, la servante du Seigneur

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